jeudi 28 septembre 2017

Qui connaît encore Pierre Béarn (1902-2004) ?

Pierre Béarn

En 2002, au Marché de la Poésie de Paris, j'ai rencontré un vieux Monsieur au regard d'acier bleu. Il se tenait seul, derrière un stand, et personne ne semblait plus le connaître.
Il s'agissait pourtant du poète Pierre Béarn.
Âgé de 100 ans, il publiait désormais des recueils de fables aux éditions Éditinter.

Par le passé, ce poète-libraire avait publié plusieurs recueils aux éditions Seghers, connu la confrérie des poètes de son temps comme René Guy Cadou, Paul Éluard ou Henri Pichette, géré seul une revue, La Passerelle, pendant plus de 20 ans et avait été le fondateur du « Mandat des Poètes », prix qui venait en aide aux poètes ou aux écrivains qui étaient dans une situation de détresse financière – comme me l'avait confié Jean L'Anselme.

Pierre Béarn était également le père méconnu du célèbre slogan « métro boulot dodo » de Mai 1968 qui figurait déjà à la dernière strophe de son poème Réveil, extrait de la plaquette Couleurs d'Usine parue en 1951 dans les petits Cahiers Seghers :
Le recueil "Couleurs d'Usine" (1951)

Au déboulé, garçon, pointe ton numéro
pour gagner ainsi le salaire
d'un morne jour utilitaire
Métro, boulot, bistro, mégots, dodo, zéro.


Quelques années plus tard, je découvris, lors d'un récital de poésie
interprété par la poétesse nordiste, Muriel Verstichel, un poème très fort, inédit, de ce même Pierre Béarn qui avait été publié dans Ciel d'Europe, une anthologie de la Maison de la Poésie du Nord/Pas-de-Calais en 2000.

Je ne résiste pas à l'envie de vous faire découvrir ce texte qui aurait pu passer totalement inaperçu et qui reste, aujourd'hui encore, pleinement d'actualité.

Tu n’emporteras rien avec toi

Homme,
qui que tu sois
tu n’emporteras rien
avec toi.

Homme inhumain par habitude
ou par conviction,
Abel façonné par la vie
en Caïn pour les carnages,
quand donc jetteras-tu
tes masques de peinturlures
tes lauriers de prédateur ?

Tu n’emporteras rien
avec toi

Rien n’était urgent dans la vie
mais tu fus toujours pressé d’écraser
quiconque se mouvait dans d’autres couleurs.

Couleurs de peau, couleurs d’idées,
couleurs de tous les drapeaux coupables,
couleur des uniformes truqués.

Tu n’emporteras rien
avec toi


Iraniens, Irakiens, qu’espérez-vous
sur vos champs puants de pétrole ?
Israéliens, Palestiniens,
n’étiez-vous pas du même sang ?

Et vous mes Africains,
mes rois nègres, mes nomades
des sables quadrillés par les Blancs
pourquoi jaillir en ennemis
hors du feu chantant de vos danses ?

Vous n’emporterez rien

avec vous.

Ô mes Peaux-Rouges de l’enfance
mes Arméniens de la vengeance,
peuples bafoués et méprisés
et vous ! coffres-forts de l’aisance
vous n’emporterez rien avec vous.

Est et Ouest dressés
en face à face dérisoire
où donc prenez-vous vos points cardinaux ?

Vous n’emporterez rien avec vous.

Policiers et soldats victimes
des voix de l’anonymat,
peuples mal soumis des usines
et vous, mes clochards de la vie
vous n’emporterez rien avec vous.

Hommes déchirés de races
et de convictions ennemis,
Hommes drogués, saoulés d’argent
dans la fermentation des convoitises,
qui donc pourrait vous pardonner
dans l’au-delà ?

Vous n’emporterez rien avec vous.

Que tu sois né du Christ ou de Lénine
de Mahomet ou de Bouddha
ou d’un ventre mal défini
tu n’emporteras rien
avec toi.


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